Cette page est protégée. Merci de vous identifier avant de transcrire ou de vous créer préalablement un identifiant.
224
CAUSE PROBABLÈ DU TRANSPORT
DES BLOCS ERRATIQUES DE LA SUISS.E
Un autre phénomène qu'on observe dans les vallées de toutes les chaînes de montagnes qui
font saillie, et qui, par ce fait même, auraient dû les préserver du courant, et les protéger contre le
ont fourni des blocs erratiques, ce sont les surfaces lisses que présentent les rochers qui n'ont pas été dégradés par la décomposition ou par des éboule-
l'eau ?
mens. Ces surfaces sont évidemment le résultat d'un frottement, et comme on sait que les eaux courantes qui charrient du sable et des pierres, usent et polissent les rochers avec lesquels elles viennent en contact, on a cru que les surfaces lisses et usées des rochers de nos grandes vallées étaient dues à la débâcle ou au grand courant qu'on supposait avoir transporté les blocs erratiques, qui , en quelque sorte , auraient fait office de l'émeri'. Pour donner plus de probabilité à cette explication, on alléguait le fait incontestable que ces surfaces polies ne se rencontrent pas audessus du niveau que les blocs transportés ont atteint de chaque côté de la vallée, et qu'au-dessus de ce niveau les rochers n'offrent que des surfaces raboteuses, de véritables cassures. La supposition d'une débâcle ou d'un courant n'explique pas d'une manière satisfaisante ce phénomène; car comment concevoir qu'une si immense quantité de blocs de toutes les dimensions, mise en mouvement par une énorme masse d'eau, ait pu unir et rendre lisses des surfaces verticales et d'une grande étendue? Loin de les polir, elle n'aurait fait que les écorner et les ébrécher. Comment des blocs entraînés par l'eau auraient-ils pu frotter et user des surfaces qui surplombent, qui forment ces sortes de voûtes que nos montagnards désignent par le nom de barmes ou de balmes? Comment expliquer, par cette supposition, la formation de surfaces polies, derrière des rochers qui
225
choc et le frottement des corps solides charriés par
Mais laissons de côté ces difficultés et admet-
tons pour un moment que ces surfaces lisses avaient été produites par un courant d'eau ; dans ce cas elles .devraient être plus marquées vers l'extrémité inférieure des vallées que dans leur partie supérieure ou vers leur naissance, et
elles devraient être absolument nulles sur les côtés des Alpes. Eh bien, c'est précisément le contraire; ces surfaces lisses et polies se rencontrent depuis le pied jusqu'au faîte des Alpes, et plus on s'élève, mieux on les trouve prononcées ; elles sont extrê-
mement distinctes sur le Saint-Bernard, le Simplon, le Saint-Gothard, le Grimsel ,la Gemmi , le Sanetsch, le col d'Enzeindaz , etc. Ces trois derniers cols étant formés par des rochers calcaires, les surfaces ne sont pas aussi unies et aussi lisses que celles des rochers feldspathiques ou siliceux ; elles sont au contraire couvertes d'une multitude de sillons ordinairement parallèles entre eux, et dont la profondeur est quelquefois de plusieurs pieds. Les arêtes qui séparent ces sillons sont souvent tranchantes, et s'étendent toujours dans le sens de la pente des rochers. Les surfaces verti-
cales ne présentent jamais cet accident ; mais celles qui sont inclinées sont ordinairement sillonnées, et désignées par les montagnards de la Suisse allemande par le nom de karren ou karrenfelder, et par ceux de la partie française du Valais sous celui de lapiz. Je pourrais citer encore d'autres faits plus ou moins contraires à la théorie d'un courant Tome VIII, 1835.
