Cette page est protégée. Merci de vous identifier avant de transcrire ou de vous créer préalablement un identifiant.
LES SALINES ET LES PUITS DE FEU
DE LA PROVINCE DU SE-TCHOAN.
ce qu'aucune destruction de monopole puisse amener une perturbation économique assez rapide pour ne pas laisser aux capitaux et aux travailleurs le temps et les moyens de trouver et de prendre une autre direction. Ceci dit, voici comment les choses se passent. Dans les régions où se trouvent déjà des puits salés, chacun peut en ouvrir à sa guise. Il n'a besoin pour cela ni de
Sans le sel que la terre nous a donné, que le Grand
454
licence ni de patente, ni d'enquête de commodo et incommodo; la police ne s'en occupe point. Quand par
ses travaux il aura ouvert un puits salé, alors seulement il trouvera la 'gabelle à sa porte.
Dans les pays où aucun puits n'est reconnu sur les cadastres officiels, l'appât du gain conduit parfois certains industriels à en forer. Quelques ligatures données aux satellites leur ferment les yeux ; si bien que le prétoire ignore ou plutôt est censé ignorer tout. Les puits donnent, le commerce va ; quelques voisins s'en mêlent;
d'autres puits sont ouverts. Il faut alors augmenter la dose de ligatures pour fermer l'oeil et la bouche aux scribes des bureaux du prétoire, au secrétaire général, et finalement au mandarin qui ne dédaigne pas ces petits profits. Mais bientôt les propriétaires sauniers des autres pays
apprennent tout cela et les voilà partis en campagne. Une accusation est portée soit au chef suprême de la gabelle, soit au gouverneur ou vice-roi de la province. En voici un spécimen : « Placet des opprimés par l'ouverture secrète de puits salins.
Nous, humbles fourmis, Yu-te-gan , Ouang-minKoang venons respectueusement demander justice au sujet de l'affaire suivante. Depuis longtemps, des puits sont ouverts dans notre pays ; par ailleurs ses ressources
sont très pauvres, la terre donne peu de récoltes à dur labeur, le commerce peu de profit à longues fatigues.
455
Empereur nous a permis d'extraire, vraiment le peuple de ce pays ne saurait comment se procurer vivres et vêtements ; même, malgré cette ressource, comme l'eau est peu saturée, les travaux longs, le riz venu de loin, le charbon cher, le lucre est si petit que ce n'est qu'a grand'Peine que les travailleurs ne perdent pas leur .vie et les industriels leur capital. Cependant comme la tranquillité règne parmi nous ! comme les impôts sont régulièrement payés ! comme les droits de gabelle sont soigneusement et exactement soldés ! Mais ce bonheur va disparaître. Dans les pays de Yun-tchoan où croissent luxurieusement le riz, le chanvre, le millet, le blé, les fèves et les pois, où se trouvent abondamment le fer, la chaux, l'argile plastique et le charbon, des gens avides, non contents de tous ces biens, ont, sans aucune autori-
sation, ouvert des puits salants. Ils ont le charbon
presque pour rien, la nourriture à bon compte. Bientôt .ils vont pouvoir livrer le, sel à vil prix, le commerce se portera chez eux. Et nous, infortunés, privés de notre gagne-riz, comment payer l'impôt, comment payer les droits, comment nous vêtir, comment vivre ? Les travailleurs affamés pourraient exciter des troubles, et le peuple si tranquille, si obéissant, passerait pour mauvais et turbulent, alors qu'il ne serait que victime. Qu'en dirait la conscience du ciel ? Mais nous savons que le grand homme estjuste : voilà pourquoi nous prions Votre Excellence de faire fermer les puits salants indûment et secrètement ouverts. »
Ce qui fait la saveur de cette littérature, c'est que, sauf l'ouverture des puits, tout y est faux. Le placet vient d'un pays où l'agriculture est aussi florissante qu'ailleurs : si le chanvre et le grand millet n'y viennent pas, en revanche le coton et le sésame y poussent très bien. Les signataires sont de riches industriels, très