Cette page est protégée. Merci de vous identifier avant de transcrire ou de vous créer préalablement un identifiant.
456
LES SALINES ET LES PUITS DE FEU
âpres au gain, nullement soucieux du sort de leurs ouvriers, réunis pour la circonstance contre le danger commun, mais peu scrupuleux dans le courant du commerce de se nuire mutuellement le plus possible par des coups de bourse ou d'accaparement sur le charbon, le riz, le sel, l'argent même. Leurs larmes sur le sort du peuple ne se trouvent que sur leur placet. Quel sera le sort de cette réclamation ? Avant tout, elle a dû être accompagnée de quelques bons paquets de
globules d'argent, seule monnaie courante auprès des grands hommes ou Excellences chinoises. Le meilleur des introducteurs auprès d'eux est donc ce fameux pot de vin dont on fait tant de bruit en d'autres pays. Seulement je ne sais pourquoi, dans le langage vulgaire, les chinois l'appellent de l'eau, puisqu'ils disent at, corrupteur du juge : il a fait entrer de l'eau au prétoire. L'explication la plus philosophique est que c'est commun comme l'eau, et que les mandarins l'avalent de ,même. Le gotiverneur encaisse donc les paquets, lit la pièce,... et attend. Une autre pièce pour activer l'affaire, accompagnée d'une nouvelle fourniture « d'eau » ne lui déplairait pas. D'autre part, il se renseigne suries nouveaux puits:
-
Donnent-ils peu ou beaucoup? Peuvent-ils augmenter considérablement la gabelle? Si c'est non, les pauvres diables, qui, par le fait, n'auraient nui à personne, seront sacrifiés. Si c'est oui, ils le seront encore, à moins qu'ils ne paient. On sait bien le leur faire savoir; ils envoient leur placet toujours avec le pot d'eau. Le procès s'engage ; les gens du prétoire de haut en bas grugent les deux partis sans vergogne, sans cesse et sans que personne le trouve extraordinaire. Finalement celui qui a le plus payé reste victorieux. Le plus souvent les anciens sauniers ont le dernier mot : riches, nombreux, ils peuvent sacrifier de fortes sommes. Ordre est alors envoyé au mandarin local de fermer les nouveaux puits ; les
DE LA. PROVINCE DU SETCHOAN.
457
pauvres industriels, coupables d'avoir trouvé du sel, doivent s'engager par écrit à n'en plus extraire. Ils ne manquent pas de le faire in perpetuuin, c'est-à-dire en bon langage chinois jusqu'au premier changement de gouverneur. Mais si celui-ci prévoyait que les puits nouveaux pussent fortement augmenter la gabelle, s'être fait largement payer ce bon service, il ferait après porter les nouvelles salines sur le cadastre officiel de Pékin ou les porterait sur le sien et les anciens sauniers en se-
raient pour leurs frais. Dans le Se-tchoan, l'un et l'autre résultat se sont présentés plusieurs fois. Un des célèbres procès de monopole est celui entre les deux villes de Fou-chouen et de Ouy-yuen, dont les territoires sont limitrophes. De tribunal en tribunal,
l'affaire est allée jusqu'à Pékin. Le
jugement définitif prohiba le forage des puits salins sur le territoire de Ouy-yuen, mais en revanche l'ouverture de mines de charbon fut interdite sur Fou-chouen, riche en terrain carbonifère. Un double monopole était ainsi créé au grand détriment des populations. CHAPITRE III.
LE PAYS DES PUITS DE FEU. LES GRANDES SALINES.
Mon intention n'est pas de décrire les salines de tous les pays énumérés plus haut, mais seulement celles de Pou-chouen, comme étant les plus
importantes. De remarques suffiront pour établir la différence entre les autres salines et celles de cette région où la Profondeur des puits nécessite des travaux et des constructions spéciales, où le rapprochement et la richesse des puits salés créent une grande activité commerciale, Où l'existence des puits de gaz donne un aspect tout Particulier à ce pays des Puits de Feu, que j'appellerai les simples
Grandes Salines.
Tome X1X, 1891. 30